Suivre le fil
Trois lettres, une infinité de déclinaisons. La langue française est brodée de tous bords car ce petit fil qui court. S'il tresse notre langage, c'est aussi de lui que nous sommes faits, dans nos chairs. Alors ce mois-ci, on s'offre une odyssée entre langue et corps articulés.
ÉTAPE 1 : La bobine
Ce bassin, berceau du mouvement, là où tout commence pour notre corde centrale : la colonne. Sentez-la vous s'enrouler, se dérouler ?
ÉTAPE 2 : Tissus
On entre dans la trame, plus ou moins souple ou rêche, froissée ou fluide. C'est ici qu'on essore et hydrate à la fois, on tort et twist pour sentir l'élasticité de nos tissus, tout ce qui nous constitue, tout ce qui spirale.
ÉTAPE 4 : Le fil à la patte, écouter ses poumons
"Tout comme un oiseau attaché à une corde s'envole dans toutes les directions et, n'atteignant aucune autre endroit où rester, revient à l’endroit où il est attaché, de le même façon, cher garçon, l’esprit s'envole dans toutes les directions et, n'atteignant aucun autre endroit où rester, revient à la respiration. Car l’esprit, mon cher, est lié à la respiration."
Chandogya Upanisad 6.8.2
Ecouter se poumons donc, pour connaître l'endroit juste où s'établir, en posture, en pensée, en intensité.
S'établir en son île, laisser tanguer le pourtour.
ÉTAPE 4 : Bâtir
Voyez ce fil à bâtir ? Grossier, visible, en pointillés irréguliers, ébauche imparfaite, essentielle, robuste, premier maintien qui précède toute consolidation. Pratiquer c'est le plus souvent cela.
Pratiquer et patienter, risquer, revenir, recommencer. Puisqu'à chaque instant on arrive dans un futur qu'on a bâti.
Pratiquer et accepter que ce ne soit jamais linéaire, jamais régulier, toujours artisanal. C'est accepter d'être parfois "sur le fil", le fil du rasoir, celui qui tranche entre être et ne plus être - concentré - en souplesse - en équilibre - en force - en confort... C'est accepter qu'un état soit et ne soit plus, éphémère nécessaire. Comme dirait Saint-Ex "c'est à mon risque de peine que je connais ma joie." "Se faire présent, c'est prendre le risque de l'absence. (...) Le marin breton du XIIIè siècle était autrement présent qu'aujourd'hui chez la petite fiancée bretonne. Sa présence, il la construisait. A l'instant même de son départ pour le Cap Horn il commençait déjà de revenir."
ÉTAPE 5 : fil d'Ariane, fil de soie, de nous ?
Ils sont nombreux les exemples mythologiques, biologiques et sociologiques de ces brins qui nous relient. Humains, nous ne sommes peut-être pas dotés d'un phénotype étendu qui nous permette de baver un cocon douillet comme le Bombyx du mûrier, et pourtant j'aime à me rappeler que notre passage ne se fait pas sans traces, sans reliance. Notre fil à nous tisse la trame d'un immense tissu social, à chaque conversation, action, présence. Et je vous souhaite de vous y emmitoufler bien serré dedans cet hiver !